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Le handicap au Laos: Balayage transversal de la question



« Une personne handicapée ne vit pas à la façon de tout le monde. Ou encore, et mieux : elle existe à sa propre façon. » (De Stexhe, 2015, p.64). Qu'il soit physique ou mental, le handicap peut être perçu comme une anormalité sociale, ou comme une singularité. La perception que chaque être humain a un handicap varie selon multiples facteurs : le cadre sociétal dans lequel il évolue, sa culture, ses croyances, son histoire personnelle...etc. Cependant, quelque soit la perception que l'on en a, la population touchée par un handicap est considérée par l'Organisation Mondiale de la Santé comme la population la plus vulnérable. Le risque premier est un risque d'exclusion sociale, économique et culturel de la personne en situation de handicap, d'autant plus lorsque le handicap affecte ses capacités de communication et qu'il se trouve dépendant d'autrui sur ce plan. Qu'en est-il de la question du handicap dans le pays du Laos ?


Le handicap à travers le contexte historique et social du Laos


Le Laos est un pays particulièrement touché par la question du handicap, notamment physique. En effet, jusqu'en 2015, 30% des munitions de la guerre du Vietnam (1973) continuaient d'exploser à retardement. Encore aujourd'hui, Handicap International intervient particulièrement sur le pays pour des missions de déminage. Il est estimé en 2008 (Messerli et al.), que 1,3% de la population laotienne est atteinte de handicap physique, causé par un accident, une maladie ou présent depuis la naissance : la majorité sont touchés au niveau des jambes et des bras ou sont atteints de déficiences auditives (et par conséquence sont fréquemment muets). Prenant en compte les handicaps intellectuels, ce chiffre s'élève en 2011 à 3,1% de la population adulte (Mitra et al., 2011). Ces statistiques restent en revanche controversées par l'absence de diagnostics réalisés dans le pays. En effet, il y a peu de personnes qualifiées au Laos pour les réaliser ; les Laotiens se rendent alors dans les pays voisins pour être diagnostiqués d'un trouble mental ou d'une déficience intellectuelle. Par ailleurs, le développement d'un handicap intellectuel est fortement corrélé à des facteurs environnementaux et sociaux tels que la pauvreté (Ermerson, 2007). De plus, 67% des personnes Laotiennes vivent dans des zones rurales, dont un nombre conséquent vit reclus dans les montagnes : les probabilités de handicap dû à la consanguinité sont plus élevées, sans que ce dernier soit relevé dans les études statistiques réalisées. Il est alors suggéré par Fielding et ses collaborateurs (2017) que le pourcentage de personnes en situation de handicap, et notamment mental, soit en réalité bien plus élevé.


Le handicap à travers les croyances au Laos


Dans la population laotienne, la question du handicap est sujette aux stigmatisations, particulièrement lorsqu'il est mental. Bien que des associations se développent, les études suggèrent que les familles, surtout aisés, s'abstiennent d'y faire appel afin d'éviter toutes formes de jugements et sentiments de honte. En effet, dans la croyance animiste qui représente l'une des deux religions dominantes au Laos, la déficience intellectuelle d'un enfant peut être vue comme la conséquence d'un mauvais karma, d'un péché, ou d'une possession par un esprit. Aussi, le manque de connaissance autour de cette question amène la population à considérer la déficience intellectuelle comme contagieuse, renforçant le risque d'isolement social. En ce qui concerne la culture asiatique populaire, le handicap renverse l'ordre générationnel attendu : habituellement, l'enfant, arrivé à l'âge adulte, s'occupe de ses parents en âge vieillissant ; dans le cas du handicap chez l'enfant, ce dernier peut rester dépendant de ses parents, même à l'âge adulte et la balance générationnelle attendue dans la culture asiatique ne s'effectue pas. Cet aspect peut être perçu comme un facteur supplémentaire de stigmatisation du handicap dans ce pays (Shobana et Saravanan, 2014).


La reconnaissance du handicap au Laos et ses prises en charge


D'une part, la reconnaissance des personnes handicapées physiques dans le pays semble prendre de plus en plus d'ampleur puisque, en 2019, a été organisée la première compétition paralympique de natation à Vientiane, dans l'optique de préparer les prochains jeux olympiques. D'autre part, le gouvernement Laotien prend en compte l'existence du handicap dans les textes de lois depuis 1991. Ces derniers promeuvent l'égalité dans l'accès à l'éducation, l'accès aux droits et dans le salaire perçu. Le dernier décret concernant cette question date, à ce jour, de 2015 : par la mise en place du projet INCLUDE [1], il a pour objectif de rendre accessible les opportunités d'emplois aux personnes en situation de handicap et de leur donner accès au marché du travail de manière adaptée à leurs compétences et aspirations. En revanche, la fermeture – il y a un an – par manque de financement, de l'école pour sourds et muets à Vientiane est un exemple des difficultés rencontrées dans la réalité par les personnes concernées et leur familles. Cette école a alors été remplacée par un centre d'accueil d'une trentaine d'enfants sourd et muets, à l'initiative de la population locale et financé par des donations extérieures. Il existe également le Centre pour enfants sourds et muets à Luang Prabang [2], qui travaille en collaboration avec l'école [3] et cette dernière est la seule à percevoir des aides financières du gouvernement Laotien.


Par ailleurs, l'amélioration de la qualité de vie des personnes en situation de handicap au Laos est soutenue par d'autres pays comme le Japon, l'Australie, la France ou les Etats-Unis. Ces derniers ont mis en place depuis 2019, avec l'accord du gouvernement Laotien, un programme sur cinq ans qui a pour objectif l'autonomisation des personnes en situation de handicap [4] . Tout d'abord pensé par le gouvernement Etats-Uniens, ce programme est alors mis en œuvre par l'organisme World Education, organisation à but non lucratif basée aux Etats-Unis.

Sur un plan non gouvernemental mais local, il existe au Laos plusieurs associations, chacune avec des objectifs similaires ou spécifiques : former des enseignants à la question du handicap (ACDA [5], AFD [6]), augmenter les capacités et l'autonomie des personnes en situation de handicap (ACDA, ADDP [7]), diffuser des informations et connaissances sur la question du handicap (ACDA, Saysetha District for Disabled People Association [8], Lao Disabled Womens Development Center [9], AFD), améliorer leurs conditions de vie par financement de services et de matériels (Vientiane capital Disabled People Association [10], AFD), développer leurs compétences et leurs insertions professionnelles (Lao Disabled Womens Development Center, ADDP, Xon Phao Laos Disabled Persons Working Group [11], AFD), faire reconnaître leurs droits et que ces derniers soient en accord avec la Convention des droits de la personne handicapée [12] (LDPA [13], AFD). La plupart de ces associations sont implantées en zone urbaine, notamment à Vientiane, la capitale ; or, plus de la moitié des habitants vivent en zone rurale et sortent peu de leur village et alentours.


Le cas particulier de l'autisme


L'autisme au Laos est très peu diagnostiqué, ou bien l'est tardivement. Or c'est dans une prise en charge précoce que l'autisme est le mieux appréhendé. Par le manque de connaissances sur ce dernier, il est souvent associé à un retard mental et donne lieu à des traitements magico-religieux : par exemple, pour encourager le développement du langage, une grenouille est mise dans la sandale du jeune enfant ; puis, dans les années qui suivent, la famille se tourne vers un shaman. Il est également présumé culturellement que l'autisme est causé par un manque d'amour de la famille envers l'enfant. Depuis 2009, il existe le Vientiane Autism Center, une école spécialisée dans la prise en charge de l'autisme, qui accueille une quarantaine de jeunes et qui est soutenue par le ministère de l'éducation et du sport Lao. Elle est également en étroite collaboration avec l'Association for Autism (AFA [14]), association de parents d'enfants atteints, le directeur de l'école étant aussi vice président de l'association. Cette association promeut les droits des personnes sujettes au trouble du spectre de l'autisme, l'accès aux thérapies et à l'éducation. A Paksé, dans le sud ouest du Laos, est également né il y a quatre ans, un centre d'une dizaine de place pour enfants atteints du trouble du spectre autistique entre 3 et 10 ans. Néanmoins, ces deux centres sont les seuls de tout le pays à prendre en charge l'autisme et peut être difficilement abordable financièrement.

Complexe, la question du handicap au Laos nous donne à réfléchir sur les nécessités et ressources locales. Plus particulièrement, la reconnaissance du handicap intellectuel et psychique ainsi que leurs prises en charge semblent davantage en marge ; cet axe, vaste champ d'étude et de recherche, peut-il voir naître des projets d'interventions ?


Taïna DEZAEL


Références

[1] « Promoting Decent Work for Persons with Disabilities through a Disability Inclusion Support Service » : Projet de sensibilisation à l'accès de travail décent pour les personnes en situation de handicap.

[2] Luang Prabang Deaf and Mute Community.

[3] Luang Prabang Special Education School.

[4] Programme USAID Okard.

[5] Aid Children with Disability Association, existe depuis 2013.

[6] Association For the Deaf, existe depuis 2013.

[7] Asian Development with the Disabled Person, association japonaise, existe depuis 1992.

[8] Agit sur la question du handicap physique, existe depuis 2014.

[9] Existe depuis 2001.

[10] Existe depuis 2013.

[11] Existe depuis 2015.

[12] CRPD : Comittee on the rights of persons with disabilities. Par le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux Droits de l'homme.

[13] Lao Disabled People's Association, existe depuis 2001. Regroupe plus de 9000 membres dans le pays.

[14] Existe depuis 2012.


Bibliographie et Webographie



Cohen L, Brown R, and McVilly K (2015) The world report on disability: challenges to application and translation for individuals with intellectual and developmental disabilities. Journal of Policy and Practice in Intellectual Disabilities 12: 77–78.

De Stexhe, G. (2015). IV - L’expérience du handicap comme seuil d’humanité. Revue interdisciplinaire d'études juridiques, volume 74(1), 131-171. https://doi.org/10.3917/riej.074.0131

Fielding, A., Blundell, B., Gillieatt, S. J. (2017) A Snapshot of intellectual disabilities in Lao PDR : Challenges for the development of services. Journal of Intellectual Disabilities. Vol. 21(3) 203–219. DOI: 10.1177/1744629517704535

Juneja M, Mukherjee SB, Sharma S, et al. (2012b) Evaluation of a parent-based behavioral intervention program for children with autism in a low-resource setting. Journal of Pediatric Neurosciences 7: 16–18.

Messerli P, Heinimann A, Epprecht M, et al. (2008) Socio-economic Atlas of the Lao PDR an Analysis Based on the 2005 Population and Housing Census. Bern: Swiss National Center of Competence in Research (NCCR) North-South, University of Bern, Bern and Vientiane: Geographica Bernensia.

Mitra S, Posarac A, and Vick B (2011) Disability and Poverty in Developing Countries: A Snapshot from the World Health Survey. SP Discussion Paper No. 1109. Washington: The World Bank.

Shobana, M., Saravanan C. (2014) Comparative study on attitudes and psychological problems ofmothers towards their children with developmental disability. East Asian Archives of Psychiatry 24: 16–22.

Thoresen SH, Fielding A, Gillieatt S, et al. (2014) Facilitating disability inclusive development in Lao PDR by improving access to social and economic services: a scoping review of contexts and concepts. In: Ratchasuda International Conference on Disability. 20–21 February 2014, Bangkok, Thailand. Available at: http://link.library.curtin.edu.au/p?cur_digitool_dc201006 (accessed 6 April 2017).


https://www.franceculture.fr/conferences/universite-de-nantes/psychiatrie-y-a-t-il-un-chaman-dans- la-salle

https://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/ELECTRONIC/100544/128493/F-2083748126/ LAO100544%20Eng.pdf

https://interactions-laos.fr/wp-content/uploads/2019/10/e-Directory_LAO-CSO_eng.pdf


https://la.usembassy.gov/the-u-s-and-lao-pdr-cooperate-to-improve-well-being-and-self-reliance-of- persons-with-disabilities/


https://laotiantimes.com/2019/04/08/lao-para-swimming-paralympic-games-500-day


https://www.ohchr.org/FR/AboutUs/Pages/WhoWeAre.aspx


https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/


https://fr.wikipedia.org/wiki/Laos#Démographie


https://xonphaodisabledpeopleworkingroup.org


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