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La déforestation au Laos


La forêt au Laos est au centre de nombreuses préoccupations, au niveau local comme international. Elle est en danger du fait de la déforestation grandissante. Ce constat est simple mais la réalité est complexe et il est actuellement difficile de mettre en place des mesures efficaces pour sa préservation. Avant les années 2000, la forêt représentait 70% de la couverture du pays ; aujourd’hui, elle ne représente plus que 40%. Parmi les provinces du Laos, Luang Prabang a le record de la plus grande perte de couverture de la forêt, avec 480 hectares en moins entre 2001 et 2020 (ces chiffres proviennent de la plateforme open source en ligne Global Forest Watch, voir dans la bibliographie). La disparition progressive de la forêt est alarmante, d’un point de vue écologique évidement, mais pas seulement. La forêt est aussi une réserve naturelle riche pour les populations qui vivent encore de son exploitation et une source de revenu non négligeable pour le pays. La forêt est prise entre demande du marché international et nécessité de préservation. Cette tension est au cœur des discussions et des projets la concernant.


I- Qu’est-ce que nous appelons « forêt » au Laos ?


Avant de commencer à regarder les causes de la déforestation, il faut savoir exactement de quelle forêt nous parlons. Le problème se pose dès que nous essayons de définir ce qu’est la forêt, car il ne s’agit pas de la même réalité pour tous les Lao.

Pour le gouvernement, la forêt s’oppose tout simplement aux plaines. Cette définition a été proposée par le gouvernement à la fin des années 1990, afin de protéger la forêt qui était menacée par la pratique du brûlis dans le Nord du Laos par la population. Cette culture sur brûlis était alors pratiquée par une part importante des populations Hmong : environ un million d’agriculteurs la pratiquaient. Pour limiter ce désastre, le gouvernement prend donc la décision de protéger cette partie de la forêt. Le problème d’une telle définition est qu’elle laisse sans protection la forêt dans les plaines du pays. Cette faille dans la loi laisse libre cours à l’exploitation des plaines avec une agriculture intensive. Les plaines modernes sont ainsi opposées aux montagnes arriérées.

Or cette définition, problématique par son incapacité à préserver la forêt dans les plaines, n’est pas la seule. La forêt est en même temps un élément culturel et religieux très important. Les populations et communautés font de la forêt une source de revenus et leur milieu de vie. Enfin, pour certaines autres populations animistes qui croient que chaque élément animale et végétale possède des capacités sensitives, la définition de la forêt est tout autre. Elle prend alors une aura sacrée, c'est un élément naturel qu’il ne faut pas toucher, et donc encore moins détruire.

Ce que nous appelons la forêt lao recoupe en fait des réalités différentes et opposées les unes aux autres. Il s’agit à la fois d’une ressource économique, d’un lieu sacré, d’un obstacle au développement, d’une richesse écologique à préserver, d’un moyen de subsistance. Ces différentes réalités s’affrontent et rentrent en contradiction.


II Les causes de la déforestation


Ces différentes réalités, en se superposant, mettent en danger la durabilité de la forêt qui s’épuise. De même que les usages de la forêt sont multiples, son exploitation prend différentes formes, de causes différentes. Lorsque nous parlons de déforestation, la première cause qui vient en tête est le déboisement. La forêt au Laos recule à cause du déboisement qui répond lui-même à de multiples fonctions : permettre d’étendre l’agriculture intensive, exploiter et exporter du bois comme matière première, étendre les villes et créer des routes. Ces causes sont bien connues et sont faciles à déterminer. Pourtant, elles n’expliquent pas à elles seules la déforestation dans son ensemble.

Si le déboisement est la première cause de déforestation, le gouvernement a pris l’initiative de mettre en place des quotas, afin de ne pas surexploiter la forêt. La loi des quotas de 2004 interdit l’exploitation du bois brut et impose un quotas d’abattage dans des zones bien délimitées. Le NGPES est un document publié par le gouvernement la même année qui met en garde contre la pratique de l’abattage. Pourtant, la déforestation est belle et bien toujours en cours et tout donne à penser que cette loi n’est pas respectée par les entrepreneurs. Neuf ans après son établissement (soit en 2013), ce sont 1,4 millions de mètres cubes de bois qui ont été exportés en Chine et au Vietnam (soit quatre fois plus que ce qui est autorisé par la loi des quotas).



L’inefficacité du gouvernement sur cette question de l’exploitation de la forêt révèle une cause indirecte responsable de la déforestation : la corruption. Les actions publiques sont entravées par la corruption du pays et des institutions. Les entrepreneurs franchissent l’interdit de la loi pour répondre à la demande du marché voisin en Chine et au Vietnam. Les grandes entreprises profitent alors de l’état de faiblesse ou de corruption du pays pour poursuivre la déforestation et l’exportation de bois brut.

Mais ils ne sont pas les seuls à poursuivre l’exploitation de la forêt : les communautés du Nord Laos qui historiquement vivent de la culture du brûlis, ne peuvent faire autrement que de la pratiquer, voire même d’y revenir, en raison de l’insécurité alimentaire que l’arrêt de cette activité entrainerait pour eux. La pauvreté devient alors une autre cause indirecte de la déforestation : faute d’avoir les moyens de se passer de son exploitation, il faut continuer pour vivre.


Les causes sont multiples et complexes, ce qui rend difficile une intervention efficace du gouvernement.


III Des actions politiques non-efficaces

Malgré ses tentatives pour limiter l’exploitation de la forêt, le gouvernement peine. La corruption est bien sûr l’une des raisons qui rend caduc l’action des pouvoirs publics, mais ce n’est pas la seule. Nous l’avons vu, beaucoup de communautés du Nord Laos vivent de l’exploitation de la forêt et ne peuvent faire autrement. L’interdiction et la loi des quotas que le gouvernement met en place en 2004 ne fait que fragiliser davantage ces populations. Cette loi qui vise à protéger la forêt ne fait qu’aggraver la situation de précarité des populations qui vivent de la forêt. Ces dernières se retrouvent alors face à deux solutions : se déplacer et trouver un autre endroit où vivre, ou bien passer outre la loi et continuer leur activité. L’exploitation illégale devient la seule solution face à la pénurie de terre avec le commerce illégale d’opium. Pour parer à ces changements de vie, le gouvernement a regroupé différents villages pour former des villes avec un accès à de nombreux services comme la santé et l’éducation. Mais ces nouvelles constructions ce sont faites au détriment de la forêt qui est rasée pour laisser la place à la construction des nouvelles infrastructures. Le déplacement et le regroupement de ces populations a d’ailleurs contribué à réduire l’espace cultivable disponible pour chacun.

Cet exemple permet de comprendre la difficulté de mettre en place une action. Toute action est imbriquée dans cet ensemble de réalités. Interdire l’accès à la forêt est une mesure répressive qui exclue les populations de ce processus de sauvegarde de l’environnement. Plutôt que d’en faire des acteurs de premier plan, ces mesures n’ont fait que les mettre à la marge et les appauvrir. Pour que l’action mise en place soit efficace, il faut donc qu’elle soit pensée par l’ensemble des acteurs qui agissent sur la forêt, non de façon unilatérale.

Après ses premières tentatives infructueuses au début des années 2000, le gouvernement relance un plan de sauvegarde en 2016. Ce nouveau plan est lancé après les accords de Paris d’où est ratifié un plan international : le REDD+, à savoir Reducing Emissions from Deforestation and forest Degradation (le + signifie également conservation). Ce plan reconnaît qu’un effort international doit être fait. Le gouvernement lao travaille ainsi avec l’aide d’autres instances internationales pour mettre en place ce programme de conservation. Ce dernier couvre 35% du territoire et s’est concentré jusqu’en 2018 sur les 6 régions du Nord ( LUANG PRABANG, LUANG NAMTHA, BOKEO, SAYABOURI, OUDOMXAY, HOUPHAN ). Il est alors possible d’espérer que cette nouvelle prise de conscience des instances nationales et internationales apporte des changements positifs et effectifs.


IV Le rôle des ONG et de la société civile


C’est pourquoi la lutte la plus efficace et durable est celle qui prend en compte la société civile, qui est la première à avoir utilisé la forêt comme lieu de ressource. Bien avant que la déforestation ne devienne un problème d’ordre national, la complémentarité des agricultures menées par les différentes communautés permettait un usage régulé des ressources de la forêt. Alors que traditionnellement les Hmong pratiquaient la culture du brûlis, les Khmus pratiquaient plutôt la culture par rotation des espaces et mise en jachère. Avec le déplacement des populations face à la pénurie de terre, ce modèle d’autorégulation a été brisé et ne peut plus être mis en place. Cet équilibre nous révèle l’importance de comprendre et d’analyser les différentes pratiques pour retrouver cet équilibre sous une nouvelle forme. Comprendre le système de fonctionnement d’une société permet alors de trouver une solution appropriée et adaptée qui peut perdurer dans le temps.

Face à l’inefficacité de l’action verticale du gouvernement, les différentes ONG qui luttent contre la déforestation au Laos se sont tournées vers la société civile, ces communautés qui vivent de la forêt. L’objectif est alors de les aider à mettre en place un mode de vie respectueux de la forêt et viable économiquement pour eux dans le temps.


LONG LAN est un village Hmong à une heure de route environ de Luang Prabang. Il comptait 500 habitants en 2014, dont 16 guérisseurs. Ce détail est important car ce village utilise la forêt comme une pharmacie à ciel ouvert, et le village est entièrement tourné vers cette activité. Dans ce village, la préservation de la forêt garantit la continuité de l’activité génératrice de revenus. Avec l’ONG CCFD-Terre Solidaire et une ONG locale SPERI (Institut de Recherche écologique sur les Politiques Sociales), un projet de sensibilisation a été mis en place pour amener la population à protéger et prendre soin de la forêt. Pour cela, il suffit de leur faire comprendre que la préservation de la forêt est indissociable de l’amélioration de leurs conditions de vie. Cette préservation peut être aidée par la pratique et la croyance de l’animisme. Dans ce cas concret précis, des cérémonies ont lieu à chaque fois qu’un homme doit abattre un arbre ou se servir d’une ressource en particulier dans la forêt.

Changer les comportements est un projet de longue haleine qui ne peut se dérouler efficacement sur quelques mois seulement. Il s’agit là d’une action qui doit avoir la capacité de prévenir durablement de la déforestation en impliquant directement la population. Les ONG et les OSC sont aujourd’hui les porteuses de projets avec un réel impact sur la situation.


IV L’importance de la sauvegarde de la forêt

La forêt primaire au Laos est un écosystème riche. Le rapport de WWF en 2020 constate que sur vingt ans, ce sont 2 000 nouvelles espèces qui ont été découvertes. Nous pouvons prendre l’exemple du saoulas. Beaucoup d’espèces endémiques viendraient à disparaître si rien n’est fait pour stopper la déforestation.


Un saoulas dans la forêt primaire


Même si la préservation des espèces est importante il faut aussi comprendre que les populations seraient impactées par la disparition de la forêt. Sans arbres, il faut assurément compter une augmentation du rejet de CO2 et donc une augmentation de la pollution, sans parler de l’augmentation des risques de glissements de terrain, d’inondation, de réchauffement de la température dans des zones qui ne seront plus abritées.

Mylène GELIOT


Bibliographie


Livres :


- DUCOURTIEUX Olivier, Du riz et des arbres L'interdiction de l'agriculture d’abattis-brûlis, une constante politique au Laos, publié par IRD et Karthala, 2009.


- MICHON, Geneviève (dir.) ; CARRIÈRE, Stéphanie (dir.) ; et MOIZO, Bernard (dir.). Habiter la forêt tropicale au XXIe siècle. Nouvelle édition [en ligne]. Marseille : IRD Éditions, 2019 (généré le 21 février 2022). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/irdeditions/32048> ; consulté le 21/02/2022


Articles :



Site Global Forest Watch, consulté le 21/02/2022




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